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Le samedi 23 avril 2022

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La crise alimentaire est devant nous

agriculture3Les auteurs invités sont Antoine Bouët, professeur à l’Université de Pau et chercheur à l’IFPRI (International Food Policy Research Institute) et David Laborde Debucquet, également chercheur à l’IFPRI

Si le protectionnisme agricole est un frein important au développement de certains pays du Sud, il ne saurait être rendu responsable de la crise alimentaire de 2007-2008. Une libéralisation commerciale accrue dans le secteur agricole aurait un effet ambivalent : elle faciliterait le développement de plusieurs pays, mais elle entraînerait aussi une hausse des prix agricoles.

La dernière crise alimentaire, qui s’est étalée du début de l’année 2007 au milieu de l’année 2008, s’est traduite par une flambée des prix agricoles mondiaux (notamment du riz, du blé et du maïs). Elle a laissé des traces profondes dans les économies des pays en voie de développement.

Il existe des conséquences de court terme à la crise alimentaire : le nombre annuel de « pauvres absolus » (moins de un dollar par jour de revenu réel) s’est accru du fait de l’augmentation du prix mondial des biens agricoles de première nécessité, en particulier dans les grands centres urbains ; le nombre annuel de personnes souffrant ou succombant de malnutrition a lui aussi augmenté. Toute famine a par ailleurs des conséquences de long terme sur les régions touchées : perte de capital humain liée à l’accroissement direct de la mortalité, mais aussi à l’augmentation de la malnutrition qui diminue de manière pérenne les capacités cognitives, et baisse du capital foncier ou animalier, lorsque les plus pauvres n’ont pas les flux de revenu suffisants pour faire face à cette crise et sont obligés de vendre leur capital productif.

La crise alimentaire n’est pas dernière nous. Selon de nouvelles estimations publiées il y a quelques mois par la FAO, la faim dans le monde atteindrait un niveau historique en 2009 : l’humanité compterait aujourd’hui 1,2 milliard de personnes victimes de la faim. La dégradation des conditions économiques des pauvres dans les pays en voie développement ne vient pas cette année d’une croissance des prix à la consommation des biens de première nécessité, mais d’une baisse des revenus liée à de faibles exportations et à une chute des investissements directs étrangers et des transferts unilatéraux (publics et privés).

L’enjeu de cet article est de savoir si les interventions gouvernementales dans le domaine de la politique commerciale (protectionnisme tarifaire, barrières techniques, sanitaires et phytosanitaires) sont responsables de cette crise alimentaire et de sa persistance.

Les inégalités géographiques du protectionnisme agricole

Commençons par quelques statistiques descriptives des politiques commerciales agricoles, où se concentre en effet le protectionnisme douanier. Si le taux global de protection au niveau mondial était de 4,6 % en 2004, il était de 16,4 % dans le secteur agricole et de 3,9 % dans le secteur industriel. À l’intérieur du secteur agricole, le protectionnisme tarifaire se concentre sur quelques produits : viandes (38,5 % de taux mondial de protection), produits laitiers (37,4 %), sucre et produits dérivés (47,8 %), tabacs et produits dérivés (30,1 %), mais aussi produits de la minoterie (27,4 %), céréales (25,4 %), boissons et spiritueux (23,6 %).

D’un point de vue géographique, le protectionnisme agricole est aussi très hétérogène. Parmi les pays (de taille significative) les plus protectionnistes dans le domaine agricole, on compte la Norvège (65,8 % de taux de protection dans le secteur agricole), l’Inde (62 %), l’Islande (56,1 %), la Tunisie (47,7 %), la Suisse (48,2 %). Le protectionnisme agricole n’est donc pas l’apanage des pays riches. Néanmoins, la protection de l’Europe ou du Japon restreint la demande mondiale de pays très riches et constitue donc une distorsion potentiellement plus forte.

Si l’on s’intéresse aux pays exportateurs les plus touchés par le protectionnisme agricole, les écarts sont encore plus flagrants : la Guyane supportait en 2004 un droit de douane moyen de 81,6 % pour ses exportations agricoles, suivie par les Îles Fidji (56,3 %), l’Arménie (52,7 %), Saint-Kitts-et-Nevis (50,8 %), le Swaziland (50,6 %). Les soixante-dix pays les plus sanctionnés par le protectionnisme agricole mondial sont des pays en développement. Quand on a un avantage comparatif dans la viande, le sucre, les produits laitiers ou le tabac, il n’est pas facile de se spécialiser et de bénéficier de la division internationale du travail. […]

Par conséquent, le commerce international de produits agricoles progresse beaucoup moins vite que l’échange de produits industriels ou miniers. Entre 1990 et 2006, les exportations mondiales de produits agricoles ont été multipliées par 2,3 en valeur, alors que celles de produits manufacturés ont été multipliées par 3,5. Certes, la demande mondiale se détourne des produits de première nécessité à mesure que le revenu par tête augmente, mais ceci n’explique pas entièrement cette différence de rythme : la libéralisation du commerce mondial concerne essentiellement le secteur industriel, et la multiplication de barrières à l’échange dans le secteur agricole défavorise l’expansion du commerce international dans ce secteur.

Le protectionnisme n’est pas responsable de la flambée des prix

Ainsi, le protectionnisme agricole mondial nuit certainement aux intérêts des pays pauvres qui ont un avantage comparatif dans ce secteur. Est-il pour autant responsable de la flambée récente des prix mondiaux des produits agricoles ? Et de la difficulté des pays pauvres à y faire face ? Pour ce qui est de la montée des prix des produits agricoles, la réponse est non. Remarquons tout d’abord que le protectionnisme agricole est un fait acquis de longue date. La flambée des prix agricoles est un phénomène récent et temporaire, bien que les prix agricoles n’aient pas tous retrouvé leur niveau de 2005.

De plus, le protectionnisme agricole ne contribue certainement pas à maintenir des prix élevés. Au contraire, il exerce une pression à la baisse sur les prix agricoles. Ces politiques sont en effet pour l’essentiel des droits de douane, des contingents à l’importation et des subventions à la production. Tous ces instruments de politique économique ont en général pour effet de réduire la demande de produits agricoles et/ou d’augmenter la production par rapport à une situation de libre-échange intégral. […]

Si le protectionnisme agricole ne semble donc pas responsable de la croissance récente des prix mondiaux, il pèse en revanche depuis longtemps sur le développement et la croissance de certains pays en développement, notamment ceux qui ne peuvent exploiter pleinement leur potentiel agricole : l’Argentine, le Brésil, la Namibie, le Botswana, le Belize, Panama, le Zimbabwe, la Thaïlande, etc. Cette liste comprend des pays très pauvres, mais aussi des pays émergents, qui connaissent de forts taux de croissance mais où l’incidence de la pauvreté est encore élevée.

La libéralisation agricole : une réponse partielle

Toutefois, si une libéralisation agricole pourrait favoriser les pays en développement cités précédemment, elle aurait certainement un effet négatif sur d’autres pays en développement, importateurs nets de produits agricoles et alimentaires. Ces pays sont très hétérogènes. En Afrique par exemple, sur quarante-quatre pays pour lesquels les données sont disponibles, vingt sont importateurs nets de nourriture et vingt-quatre sont exportateurs nets. Les pays africains se trouvent aux deux extrémités du classement mondial des pays selon leur solde commercial agricole net, exprimé en pourcentage du Produit Intérieur Brut (PIB). […]

Il est important de souligner que le protectionnisme agricole n’est pas la seule cause du sous-développement : des institutions inadaptées ou de mauvaise qualité, des infrastructures de transports ou de télécommunications médiocres, des politiques macroéconomiques défaillantes, sont des facteurs majeurs du sous-développement. Ce sous-développement global rend les pays particulièrement vulnérables aux variations de prix des biens alimentaires. En ce sens, c’est plus l’incapacité de certains pays et de certaines populations à affronter la hausse des prix des produits agricoles que cette hausse elle-même qui paraît inquiétante, et ce d’autant plus que si le changement climatique se confirme, les marchés agricoles mondiaux pourraient être encore l’objet de fortes turbulences dans les années à venir.

Peut-on envisager un scénario soutenable, qui permettrait aux pays en développement d’exercer leur avantage comparatif sur les marchés agricoles mondiaux sans souffrir de la hausse des prix agricoles ? Plusieurs considérations peuvent nous guider. […]

On peut lire le texte complet en allant sur le site la vie des idées.fr

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