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Le samedi 23 avril 2022

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La transition énergétique vue du Sud

L’auteur invité est Cédric Leterme, de Metis, correspondances européennes du travail.

Les questions de transition énergétique concernent a priori l’ensemble de la planète, mais elles ne soulèvent pas partout les mêmes enjeux, ni dans les mêmes termes. Pour beaucoup de pays du Sud, elles consistent surtout à arbitrer entre le développement économique et l’exploitation des ressources naturelles. Frédéric Thomas, du Centre Tricontinental (CETRI), a coordonné une édition du trimestriel Alternatives Sud consacré aux enjeux et conflits soulevés par l’exploitation minière au Sud.

Tout d’abord, est-il légitime de continuer de parler du Sud quand on connaît la diversité de contextes que recouvre cette notion ?

Il vrai que les évolutions de ces dernières décennies devraient nous inciter à parler davantage « des » Sud que « du » Sud. Néanmoins, on peut considérer que ce cadre de référence Nord/Sud reste pertinent pour parler des mines, dans la mesure où l’essentiel de la production se trouve au Sud (malgré l’existence de quelques grands producteurs au Nord, comme le Canada, la Russie ou les États-Unis) tandis que le gros de la consommation se fait au Nord. Par ailleurs, on voit également apparaître des stratégies alternatives au Sud, et particulièrement en Amérique Latine, qui justifient à nouveau, selon nous, le recours à une grille d’analyse Nord/Sud.

Est-ce qu’on peut en déduire que la différence principale entre le Sud et le Nord sur les questions de transition énergétique c’est qu’elles se posent essentiellement en termes de consommation au Nord, alors qu’elles se posent avant tout en termes de production au Sud ?

En partie oui, mais c’est à nuancer. Tout d’abord parce que dans les pays dits « émergents » comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, la question de la consommation se pose de plus en plus. Mais surtout parce que l’intérêt d’effectuer un aller-retour entre le Nord et le Sud est justement de voir comment ces questions de production et de consommation sont liées, alors qu’elles nous apparaissent souvent comme étant déconnectées. Cela étant dit, il est indéniable que l’enjeu au Sud reste extrêmement centré sur la production, notamment parce que la plupart (quand ce n’est pas l’ensemble) de cette production est destinée à l’exportation vers le Nord. On peut même dire que la question de la transition énergétique ne se pose pratiquement pas pour les gouvernements de ces pays, ou alors de manière abstraite, dans une perspective de moyen-long terme. L’enjeu premier est plutôt de savoir comment tirer profit au maximum de cette production dans une perspective d’industrialisation et de développement, tout en réduisant les coûts sociaux et environnementaux qui lui sont associés. Pour la plupart des dirigeants du Sud, le terme de « transition énergétique » est d’ailleurs un terme importé du Nord, une tentative hypocrite d’entraver leur processus de développement.

Ce sentiment est-il partagé par tous les secteurs de ces sociétés ?

Non, la question de la transition y est posée mais davantage au niveau de forces sociales hétérogènes de la société civile (coalition d’associations de paysans, d’indigènes ou de citoyens en milieux urbains) qui sont directement confrontés aux dégâts environnementaux colossaux liés à l’exploitation des ressources naturelles. Cependant, même si grâce à eux des pistes se dégagent, celles-ci restent souvent confinées à un objectif d’encadrement de ces activités (sous quelles conditions exploiter ces ressources ?) et de diversification de l’économie, de manière à échapper à une division du travail qui continue de maintenir nombre de ces pays dans une situation de dépendance. On voit donc que des concepts comme le « droit à la nature » en Équateur ou le « bien-vivre » en Bolivie sont surtout repris de manière théorique, voire rhétorique par certains gouvernements, le véritable débat se construisant surtout au sein de la société civile.

Justement, il est étonnant de constater que plusieurs des pays qui se veulent en pointe du combat écologique au niveau mondial ont parallèlement une économie qui dépend presque entièrement des énergies fossiles (Venezuela, Bolivie, Équateur), comment interpréter cette contradiction ?

Il y a une part d’opportunisme, mais pas seulement. Tout d’abord, il faut savoir qu’il s’agit de gouvernements qui ont été élus sur une base de revendications en partie écologistes. Par des forces sociales (largement) de gauche, mais dont certaines intégraient également des considérations environnementales. Or, ces gouvernements héritent d’une situation économique et surtout d’un héritage de production vieux de plusieurs siècles, tout en faisant face à des échéances électorales relativement courtes. La tentation est donc grande d’utiliser l’exploitation des ressources naturelles pour financer leur politique sociale de réduction de la pauvreté, laquelle constitue l’autre grande promesse électorale sur laquelle ils fondent leur légitimité. Ce dilemme entre l’obtention de gains à court terme et une diversification à moyen-long terme de l’économie n’est donc pas seulement théorique. Ces gouvernements font face à des forces sociales contradictoires, par exemple entre d’un côté des syndicats qui défendent l’emploi et l’investissement et de l’autre des forces sociales qui revendiquent un autre usage des ressources naturelles et une diversification de l’économie. À court terme, la première position est plus facile à satisfaire, dans la mesure où la seconde nécessiterait des bouleversements importants, notamment concernant l’insertion particulière de ces pays dans l’économie mondiale.

À ce propos, quel est selon vous le poids respectifs des facteurs nationaux, régionaux et mondiaux dans les contraintes qui pèsent sur une éventuelle transition énergétique au Sud ?

Au niveau national, je l’ai déjà évoqué, il y a selon moi la solution de facilité que fournit à court terme l’exploitation des ressources naturelles et le poids de l’histoire propre à ces différents pays.

Au niveau régional cette fois, force est d’admettre que les enjeux écologiques sont largement absents des débats. Les objectifs des multiples ententes qui se développent sont avant tout d’ordre économique « classique » (constitution de marchés régionaux, développement des infrastructures, commerce Sud-Sud), sans que la question d’une éventuelle transition énergétique parvienne à s’imposer face à la volonté unanime de favoriser le développement économique.

Enfin, au niveau international, les contraintes pèsent extrêmement lourd et elles sont principalement le fait des pays du Nord. À titre d’exemple, la Commission européenne est l’une des plus farouches opposantes aux mesures protectionnistes qui pourraient se traduire par une limitation de l’accès aux ressources naturelles, ce qui rend très difficile pour les pays du Sud de mettre en place de telles mesures. Par ailleurs, la division internationale du travail enferme beaucoup de ces pays dans un rôle de fournisseur de matière première et de main-d’œuvre bon marché, une situation que renforce d’autant plus l’essor économique de la Chine.

Pour lire le texte original, on va sur le site de Metis, correspondances européennes du travail.

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