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Le samedi 23 avril 2022

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Les services dans la transition écologique et sociale

L’auteur invité est Jean Gadrey, professeur honoraire d’économie à l’Université Lille 1, et collaborateur à Alternatives Economiques.

Alors que les services sont dévalorisés par la plupart des courants économiques et des élites politiques, ils trouvent grâce du côté de certains écologistes en raison d’une supposée « immatérialité » qui les rendrait écologiquement légers.

Cette idée est en partie inexacte. Et pourtant, dans la « transition » qui va s’imposer, certaines activités de services seront en pointe (mais aussi certaines activités agricoles, industrielles et du bâtiment reconverties). Elles existent déjà pour la plupart, mais leur développement innovant est vraisemblable, qu’il s’agisse de services marchands ou non marchands.

Globalement, la part des services dans l’emploi total pourrait stagner dans les décennies qui viennent. Il y aura des services gagnants et d’autres perdants, en fonction des objectifs et du rythme de la transition. Et la question des (vrais) métiers est essentielle pour qu’ils répondent à ces objectifs.

LES SERVICES : VERTS PAR NATURE ?

Selon certains, nous assisterions à une « dématérialisation de l’économie » liée notamment à l’expansion des services et à la montée en puissance des nouvelles technologies de l’information. Ce point de vue est excessif et en partie inexact. Les services sont peut-être, comme on l’a écrit plaisamment, « des produits qui ne vous font aucun mal quand ils vous tombent sur les pieds », mais leurs processus de production et de consommation et les transports qu’ils induisent exigent des ressources naturelles, de l’énergie, et engendrent des rejets.

En moyenne, c’est vrai, leur empreinte écologique (une mesure synthétique de l’usage de ressources naturelles diverses pour consommer ou pour produire) par emploi est inférieure à celle de l’industrie, de l’énergie ou de l’agriculture. Mais elle n’est pas négligeable, et elle est très variable selon les services. Leur production et leur usage incluent souvent une composante « immatérielle » d’échanges verbaux ou cognitifs (enseignement, médecine, conseil..). Mais, d’une part, cela suppose que les prestataires de services aient de quoi « reproduire leur force de travail » sur la base de choses très matérielles produites par d’autres. C’est pour cela que les pays où les services occupent le plus de place dans l’économie et dans l’emploi sont en tendance ceux qui produisent et consomment le plus de biens matériels par habitant, de sorte que leur empreinte écologique par personne est la plus lourde !

D’autre part, les relations de service exigent, sauf quand elles sont fournies à distance (téléphone, Internet…), d’innombrables déplacements, avec leurs impacts écologiques multiples. Et si elles sont fournies à distance, elles supposent des ordinateurs, des serveurs, des « tuyaux », de l’énergie, etc.

Le bilan écologique des services est donc nuancé. Les services ne sont pas verts par nature.

PRODUIRE MIEUX AVEC DAVANTAGE D’EMPLOIS

En présence de courbes aussi impressionnantes que celle de la progression continue du poids de l’emploi tertiaire depuis des décennies, on est tenté de dire que cela va se poursuivre. On peut même trouver des modèles économiques pour le « prouver », dont la « loi de Baumol », qui date de 1965, et qui elle-même tenait compte de travaux antérieurs, dont ceux de Jean Fourastié.

Or on peut penser que les changements exigés pour contrer la crise écologique finiront par mettre fin, plus sûrement que toute autre stratégie, à la chute quasiment continue du poids dans l’emploi du secteur primaire (agriculture, sylviculture, pêche) et d’une partie du secteur secondaire (industrie, production d’énergie et construction). Si l’on s’oriente vers une agriculture durable, il faudra nettement plus d’emplois pour les mêmes quantités produites, et l’emploi agricole cessera de diminuer puis sera orienté à la hausse. Il en ira de même de l’emploi dans le bâtiment, qui a un bel avenir si l’on adopte des politiques ambitieuses de réhabilitation thermique des logements anciens, et dans le secteur de l’énergie en cas de recours croissant à un « bouquet » de renouvelables de proximité. Mais aussi dans une fraction de l’industrie reconvertie et en partie relocalisée, car la progression de normes vertes et de la proximité, comme toute montée en qualité, est bonne pour l’emploi.

Ces réorientations pourraient compenser (surtout si l’on poursuit le mouvement historique de baisse du temps de travail) la réduction de l’emploi dans les activités les plus « insoutenables » sur le plan écologique, et celles qui découleraient d’une plus grande sobriété matérielle. C’est d’ailleurs ce qui ressort de plusieurs études prospectives de la CES (Confédération européenne des syndicats) ou du scénario NégaWatt.

Mais si la part d’emploi des secteurs primaires et secondaires cesse de diminuer, la progression de la part du tertiaire prendra fin elle aussi, bien que, vraisemblablement, on en reste à un poids très élevé, entre 75 et 80 % dans les pays riches. Car, nous y venons, les besoins de « services durables » dans la transition écologique et sociale resteront considérables.

LES SERVICES DE LA RÉORIENTATION ÉCOLOGIQUE

Deux facteurs devraient se conjuguer pour que s’affirment une demande et une offre de services liés aux exigences environnementales. Le premier est général : la proximité, à la fois technique et sociale, va devenir une composante essentielle de l’organisation sociale de la production et de la consommation durables. Cela devrait favoriser les circuits courts, y compris dans des services « au plus près des gens », en fonction de bilans écologiques et sociaux : la grande distribution n’a pas la même empreinte écologique ni la même utilité sociale que le petit commerce de quartier organisé en coopératives liées à des coopératives de producteurs proches. Les services publics qui, sous des « impératifs de productivité », suppriment des bureaux ou agences de proximité pour concentrer leur production dans des centres regroupés, augmentent leurs atteintes à l’environnement tout en diminuant leur utilité sociale.

Le second facteur est que le recul nécessaire de l’accumulation consumériste de biens, sans perte de bien-être, passe par d’innombrables services privilégiant le « pouvoir d’usage » et non la possession, les biens qui durent longtemps et non leur obsolescence parfois programmée, la lutte contre les gaspillages, « l’économie de fonctionnalité » ou circulaire, etc. On peut citer les services de location, de réparation, de récupération, de revente, de recyclage, d’entretien, de prévention et plus généralement toute une « économie du prendre soin » des objets, des ressources naturelles vitales et de la qualité de l’environnement. Et d’ailleurs, l’avenir de l’industrie et de l’agriculture sera meilleur si leurs processus de production s’enrichissent en services de ce type, qu’ils soient internes ou externes.

SERVICES DU BIEN VIVRE INDIVIDUEL ET COLLECTIF

Il faut ajouter à ce qui précède l’amélioration à la fois quantitative et qualitative des services de développement humain associés à des biens communs sociaux, à des droits universels à (re)conquérir, dans l’éducation, la santé, la justice, la culture, les services destinés à la petite enfance, aux personnes âgées, aux handicapés, les services dits sociaux… On y applique aujourd’hui une logique de performance industrielle et de réduction des coûts qui menace la qualité individuelle et collective de ces services et leur universalité, et nuit à l’emploi.

Le besoin existe manifestement de développer certains de ces services, d’une part en quantité (croissance) pour en faire des moyens d’exercice de droits fondamentaux, par exemple celui de vivre dignement sa vieillesse, d’autre part en qualité (contribution au bien-être des bénéficiaires) et en qualités du travail et de l’emploi, car il s’agit d’un enjeu majeur de leur développement. Il y faut absolument de vrais « métiers », de vraies qualifications, de bonnes conventions collectives, etc.

Pour avoir, en France, la densité suédoise de « services sociaux » au sens de l’OCDE (éducation, santé, action sociale, services aux personnes âgées et à l’enfance, collectivités publiques), il nous faudrait trois millions d’emplois supplémentaires, et de bien meilleure qualité ! Ce chiffre ne signifie pas que l’on peut copier des modèles nationaux, ni que les services suédois en question soient tous écologiquement viables et socialement parfaits, mais il indique une marge considérable de création d’emplois utiles.

Enfin, dans un contexte peu favorable depuis des années sur le plan des financements publics, l’emploi dans l’économie sociale et associative, qui est essentiellement une économie de services (recoupant partiellement celle des services de proximité aux personnes), a progressé de 15 % depuis 2000 et représente 10 % de l’emploi total, plus très loin de l’industrie avec ses 12 %. La qualité de l’emploi y est inégale et souvent problématique, leur écologie est encore peu prise en compte, mais leur utilité sociale fait peu de doute dans la plupart des cas.

Ce qui précède n’implique pas de remplacer la logique du « toujours plus de biens » par celle du « toujours plus de services ». Une économie du prendre soin est une économie du « mieux ».

Pour lire le texte original, on va sur le blogue de l’auteur.

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