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Le samedi 23 avril 2022

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Interview avec Christophe Nijdam

Comme auteur invité, interview avec Christophe Nijdam, réalisée par Charlotte Geiger.

Depuis janvier 2015, Finance Watch a un nouveau Secrétaire Général : Christophe Nijdam. Vous pouvez faire connaissance avec lui – ce qu’il a fait avant de rejoindre Finance Watch et son point de vue sur les réformes financières – en lisant cette interview.

Vous en apprendrez plus sur son passé de banquier new-yorkais, son point de vue sur les marchés et comment il est toujours convaincu que la finance, quand elle est bien faite avec les justes incitations financières et le bon horizon de temps, peut être un outil très puissant pour le progrès économique.

Christophe, bienvenue chez Finance Watch. A l’issue de ton premier mois, quel va être à ton avis le défi le plus important de tes nouvelles fonctions?

Nous devons nous assurer que les décideurs comprennent bien que si nous voulons de la croissance et des emplois, nous avons besoin de réglementations efficaces. La crise financière a détruit des millions d’emplois et a été délétère pour la croissance économique. Ceci non à cause des réglementations, mais à cause de leur absence.

Donc tu penses qu’on a tiré les leçons des crises ? Pourquoi est-il si difficile de mettre en place des règles fortes ?

Quand on regarde les crises systémiques qui ont eu lieu, on voit que la partie principale de la feuille de route du G20 qui en a découlé était d’éviter que cela ne se reproduise. Le problème est que quelque chose s’est perdu en chemin.

Une fois que les crises financière et de la zone Euro ont été temporairement stoppées, principalement par des renflouements d’une sorte ou d’une autre, on a eu l’illusion que tout était sous contrôle. Beaucoup de gens ont pensé qu’il n’était peut-être plus nécessaire de réglementer les institutions financières, comme le G20 l’avait demandé au préalable. C’est alors que la complaisance a pu revenir et que nous sommes devenus moins vigilants, moins inquiets sur le besoin de réglementer.

Dans cette ambiance, les lobbyistes financiers ont pu recommencer leur travail, plaidant pour moins de réglementations ou des réglementations moins contraignantes, prétendant même que c’était dans l’intérêt général alors que c’était l’inverse.

Si on revient aux années 80, quand la déréglementation a été mise à l’ordre du jour : à cette époque, tu as travaillé pour un certain nombre de grandes banques à New York. Comment as-tu ressenti ce mouvement vers la libéralisation du secteur financier à ce moment-là ?

Etant au cœur du secteur lorsque la financiarisation de l’économie a décollé, je croyais alors que des marchés libéralisés pourraient en effet être plus efficaces que des marchés très centralisés. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, il y avait encore le Rideau de Fer et que deux systèmes politiques et économiques différents s’affrontaient. D’un côté l’Union Soviétique, l’économie centralisée, et de l’autre le « monde libre » avec des marchés libres. Ce dernier concept était selon moi supérieur à toute autre organisation économique. C’est ce que je pensais alors mais plus tard, j’ai compris les choses bien différemment.

Comment est-ce que ta perception des choses a évolué avec le temps ?

Plus tard, probablement du milieu des années 90 jusqu’à la crise de 2008, bien qu’étant un partisan du marché libre, j’ai commencé à réaliser que certaines des conséquences du marché libre n’étaient pas désirables.

Par exemple, le marché des produits dérivés sur lequel je travaillais était vraiment en train de devenir incontrôlable et incontrôlé. Un autre exemple est la façon dont les bonus des gens travaillant dans l’industrie financière se sont envolés, sans aucun lien avec l’utilité de leurs fonctions pour la société.

Pour cette raison et pour d’autres encore, nous avons perdu beaucoup de sens éthique dans l’industrie, et les gens ne pensaient plus qu’à une chose : faire fortune le plus vite possible, sans penser aux possibles conséquences catastrophiques pour le reste de la société.

Donc à partir du milieu des années 90, j’ai réalisé que même si les marchés libres sont mieux que les marchés centralisés, ils ne peuvent s’autoréglementer, surtout avec de telles incitations financières pousse-au-crime. Si nous avons besoin de marchés libres, la réglementation est cependant clé pour qu’ils ne perdent pas de vue leur finalité réelle : être au service de la société.

Après avoir quitté le milieu bancaire et avant de rejoindre Finance Watch, tu as travaillé pendant vingt ans comme analyste financier. Quelle était ta motivation ?

En tant que banquier, je travaillais surtout sur le côté dette de la finance : sur les prêts lorsque j’étais banquier d’entreprise puis sur les obligations et les produits dérivés lorsque j’étais un banquier de marché.

Ensuite, j’ai voulu m’impliquer du côté des fonds propres. Etre un analyste boursier demande une forte capacité analytique ; vous devez réellement comprendre la stratégie de l’entreprise derrière ses données financières pour pouvoir mettre un prix sur ses actions.

Intellectuellement parlant, c’était un nouveau challenge pour moi et c’était passionnant.

A cette époque, tu t’es fait connaître comme expert indépendant, enseignant universitaire, auteur de livre et voix médiatique. Quelle est l’importance, à ton avis, de l’éducation financière ?

J’ai commencé à écrire quelques articles au milieu des années 90. En 1998 par exemple, j’ai écrit un article sur LTCM, un fond spéculatif américain qui était très impliqué sur le marché des produits dérivés et a quasiment fait s’effondrer le système financier. A cette époque, le gouvernement américain a obligé les banques à renflouer LTCM pour éviter l’effondrement. C’est là que j’ai commencé à m’exprimer contre les dérives des produits dérivés. En 1998, j’ai également commencé à enseigner à Sciences Po Paris.

Pour moi, l’éducation financière est clé, mais c’est un objectif à long terme. L’éducation financière est importante pour que chacun puisse profiter de sa liberté économique. Le problème est que certains essaient de compliquer la finance pour en faire un champ réservé aux experts. Mais elle n’a aucun besoin d’être très compliquée ! Nos pratiques économiques et financières devraient être basées sur le bon sens, sur des règles simples comme « risque et rentabilité » ou « si tu ne comprends pas certains produits, investis ailleurs! ».

Pour moi c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles Finance Watch joue un rôle aussi important : on ne peut pas laisser une minorité de la société tirer avantage de leur position en faisant croire que les choses sont très compliquées. Quand des experts disent « s’il vous plait n’y touchez pas, nous seuls savons comment cela fonctionne », nous devons juste répondre « nous aussi savons comment cela fonctionne mais nous voulons le faire fonctionner au bénéfice de la société ».

Etait-ce ta motivation pour rejoindre Finance Watch ?

J’ai soutenu Finance Watch dès son démarrage, car j’étais extrêmement convaincu de la nécessité d’une telle organisation. C’est pourquoi en juin 2011, lorsque Finance Watch fut créé, j’ai été impliqué de près avec les membres fondateurs.

Je suis très honoré d’en devenir Secrétaire général et je tire une certaine fierté de m’engager dans une mission à laquelle je crois fortement et qui va beaucoup plus loin que mon intérêt personnel.

En résumé, je suis un ancien banquier, quelqu’un qui a réellement travaillé dans le secteur de la finance et qui est totalement convaincu que le secteur financier a besoin d’être réformé. J’ai adoré mon métier et cette profession mais j’ai vu que quelque chose ne tournait plus rond dans les 15 à 20 dernières années. C’est pourquoi je souhaite changer la finance de façon positive, en retournant non au Moyen-Age mais à un système qui a bien fonctionné dans un passé qui n’est pas si lointain et qui peut donc le refaire.

La finance, lorsqu’elle est bien faite, avec de l’éthique, les justes incitations et le bon horizon de temps (non pas faire beaucoup d’argent d’ici demain matin mais un montant raisonnable dans un temps raisonnable), peut être un outil très puissant pour le progrès économique.

En fait, c’est parce que j’aime tant la finance que je veux contribuer à la remettre au service de la société.

Pour lire le texte original, on va sur le site de Finance Watch.

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