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Le samedi 23 avril 2022

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Libre opinion – Le patronat inquiet… pour son portefeuille

L’auteur invité est David Robitaille, professeur de droits et libertés à l’Université d’Ottawa.

Depuis l’élection d’un gouvernement minoritaire péquiste, le « patronat » ainsi que certains députés du premier parti d’opposition officielle, dont M. Raymond Bachand, se disent inquiets et souhaitent se voir rassurés que le climat demeure propice à la prospérité et à l’investissement.

Comme de « bons pères de famille », ces représentants de la communauté d’affaires nous mettent en garde contre les politiques que le Parti québécois entend mettre en œuvre en matière environnementale et fiscale. On se dit inquiet de la fermeture d’une usine qui produit de l’électricité à partir de l’énergie nucléaire, d’un moratoire éventuel sur les activités d’exploration et d’exploitation du gaz de schiste et de la hausse du taux d’imposition sur le gain en capital et le paiement de dividendes.

Par-dessus le marché, toujours en « bons pères de famille », ces soi-disant défenseurs des intérêts du Québec sont inquiets de ce qu’ils perçoivent comme un manque de compétence du gouvernement Marois en matière économique et de la présence d’anciens militants écologiques à la tête des ministères de l’Environnement et des Ressources naturelles. On sonne l’alarme face à cette « instabilité » économique qui minerait la prospérité économique. La prospérité de qui ? Des investisseurs, à qui profitent le plus les politiques néolibérales des gouvernements et la privatisation des services publics et des ressources.

Cela n’a rien de bien nouveau, et on a beau jeu de se prêter à cette rhétorique puisqu’elle fonctionne, malheureusement. Le discours néolibéral du patronat est bien connu et domine la pensée contemporaine.

Ce discours superficiel valorise la réussite ou le succès — économique — individuel et l’abolition de tout ce qu’il considère comme obstacle à la libre entreprise. Comme l’affirmait l’économiste et universitaire Riccardo Petrella (Pour une nouvelle narration du monde, Écosociété, 2007), « […] la TUC [Théologie universelle capitaliste] se présente comme un système “scientifique” capable de donner des certitudes et des solutions. Même les pauvres et les exclus peuvent trouver l’explication de leur condition et de leurs problèmes dans le cadre de la narration dominante, dans la mesure et à condition, bien entendu, qu’ils aient la volonté et la capacité d’emprunter la bonne route ».

Ce puissant discours qui mesure tout en termes de dollars comme si l’enrichissement matériel était le but ultime de la vie méprise effectivement ce qu’il considère comme l’échec économique individuel et le manque d’efforts et de productivité de celles et ceux qui, essoufflés par les responsabilités quotidiennes, la conciliation travail-famille, les dettes et la détresse humaine, n’arrivent pas toujours à jouer le jeu de la compétitivité et de la productivité aveugle.

Le slogan de campagne du chef caquiste en est une illustration éloquente : « On va faire le ménage. » Superficiel comme mot d’ordre et, surtout, très méprisant : lorsque l’on fait du ménage, on ramasse de la poussière. Or, ici, on parlait d’emplois et, plus fondamentalement, de personnes et de familles. Il est facile pour ce discours de se propager dans l’imaginaire collectif d’une société individualiste (certains diront sous l’effet des chartes ; je pense plutôt que les chartes des droits individuels sont le produit des valeurs sociales dominantes) et désolidarisée (merci aux étudiants qui nous ont prouvé le contraire récemment !) qui fait du bonheur et de la réussite une affaire individuelle et dans laquelle les valeurs de solidarité collective, dont les programmes sociaux sont le fruit, sont perçues comme suspectes ou utopiques.

Patrimoine collectif

Qu’y a-t-il de si grave à ce qu’un ministère de l’Environnement soit géré par une personne qui a vraiment l’environnement à cœur ? Qu’y a-t-il de mal à ce qu’un ministère des Ressources naturelles soit mis sous la responsabilité d’une personne pour qui les ressources québécoises ne sont pas à vendre au premier venu et à n’importe quel prix — économique et environnemental ? L’inverse, que nous vivions sous le gouvernement précédent, serait plutôt inquiétant. L’environnement et les ressources naturelles constituent le patrimoine collectif des Québécois et ne doivent pas être vus à travers la seule lunette du profit. Lorsque vient le temps de critiquer des politiques socioéconomiques et environnementales dites progressistes, on brandit le spectre de l’instabilité et de l’avenir sombre du Québec. Pourtant, ces mesures visent à nous aider, à contribuer au mieux-être des citoyens, à protéger l’environnement dans lequel nous vivons, à protéger notre santé et à redistribuer, un peu, les richesses.

Les entreprises créent de l’emploi et cela n’est certes pas à négliger. Mais plutôt que de considérer celles-ci comme de généreuses distributrices d’emplois qu’il ne faudrait surtout pas déranger dans leur recherche infinie de profits, pourquoi ne considérerions nous pas plutôt que ce sont les travailleuses et travailleurs du Québec qui contribuent à l’essor de ces entreprises ?

Sans ces personnes, l’entreprise n’existe pas. Les citoyens ne sont pas des ressources au service des entreprises et de l’économie. C’est plutôt l’économie qui devrait être au service des citoyens. L’éducation, la santé et l’environnement ne doivent pas se concevoir en termes de profits, mais plutôt de droits humains fondamentaux, comme cela est reconnu dans de nombreux instruments internationaux de protection des droits de la personne.

L’inquiétude du patronat ne vient pas d’un prétendu manque de compétence du nouveau gouvernement en matière économique, mais du fait que la libre entreprise et le profit ne seront désormais plus le critère prépondérant dans la détermination des politiques environnementales, fiscales et économiques québécoises. Au fond, celles des personnes ou sociétés qui seraient tentées d’investir ailleurs en raison de l’augmentation du taux d’imposition des plus riches, phénomène contre lequel le patronat met en garde, recherchent le profit avant tout et ne sont pas réellement intéressées, malgré l’affirmation contraire, au développement — durable — du Québec et au bien-être fondamental des citoyennes et citoyens. Inquiet le patronat ? Certes, mais pour son portefeuille.

Pour lire le texte original, on va sur le site du Devoir.

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