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Le samedi 23 avril 2022

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Élections du 17 février en Équateur

L’Amérique latine, depuis 10 ans, est un laboratoire stimulant pour l’imagination et l’espérance concernant les alternatives à définir. L’Équateur est un cas à suivre, en cette veille des élections du 17 février, au moment où le Président Rafael Correa se présente pour obtenir un troisième mandat d’affilée, après avoir été élu en 2006 et en 2009 et avoir fait ratifier en 2008 par référendum, avec un appui populaire de 64%, une nouvelle constitution, élaborée par une assemblée constituante.

L’Équateur en bref

Sur 14 millions d’Équatoriens, 25% appartiennent à diverses nations indigènes et 4% sont Afro-équatoriens. L’Équateur est doté d’une société civile robuste et pluraliste, marquée par de fortes traditions religieuses et laïques, des mouvements sociaux forts habitués à se mobiliser et à marcher dans les rues pour exprimer leurs demandes aux décideurs et faire tomber des gouvernements, le cas échéant. La tradition du multipartisme est bien ancrée avec en moyenne plus d’une douzaine de partis et mouvements politiques qui participent habituellement aux élections. Tout cela implique une habitude du travail politique en coalition et de la délibération démocratique. Le système politique est unitaire et le pays s’est donné 20 constitutions en deux siècles. Jusqu’en 2006, le pays avait connu 25 ans de politiques néolibérales et 12 ans de grande instabilité politique avec la succession de sept présidents, dont trois qui ne terminèrent pas leur mandat. Ainsi, la stabilité du gouvernement de Correa s’est avérée étonnante depuis 6 ans, et pourrait se prolonger pendant quatre autres années.

Les élections du 17 février sont à la fois présidentielles et législatives. Elles permettront de choisir les 137 membres de l’Assemblée nationale et un président. À condition que le premier tour soit conclusif, en permettant à un candidat d’obtenir plus de 40% des voix et une avance de plus de 10% sur le deuxième. Si ces conditions font défaut, un deuxième tour aura lieu le 7 avril. Les élus entreront en fonction le 24 mai, pour un mandat de quatre ans. Huit candidats compétitionnent aux élections présidentielles de 2013. Parlons d’abord du président sortant, Rafael Correa.

La trajectoire politique de Correa

La première force politique du pays est celle du Mouvement Alianza Pais, conduite par le président Correa. Ce dernier n’a pas suivi la trajectoire habituelle des leaders de gauche. Jusqu’en 2005, c’était un professeur d’économie peu connu qui s’inspirait de la doctrine sociale de l’Église plus que du marxisme. Il a émergé sur la scène publique en étant 4 mois conseiller économique dans le gouvernement Palacio et en démissionnant avec fracas après s’être opposé aux prescriptions néolibérales des institutions financières internationales. Puis, il a cultivé ses alliances avec des figures expérimentées de la gauche – comme Patiño et Acosta – de même qu’avec des leaders des mouvements indigène, paysan et écologique. Cela lui a donné des assises pour se lancer dans les élections de 2006 et les remporter au deuxième tour.

Les autres candidats à la présidence

En plus de Correa, les candidats à la présidence sont les sept suivants :
Guillermo Lasso du mouvement CREO (Creando Oportunidades) (centre droit). Lasso est haut fonctionnaire de la Banque de Guayaquil.
Lucio Gutierrez du mouvement Sociedad Patriótica (droite). Gutierrez est ingénieur, ex-militaire et ancien président de 2003 à 2005.
Alvaro Noboa du mouvement PRIAN (droite). Noboa est un avocat, riche millionnaire de l’industrie bananière. Il s’est souvent présenté comme candidat présidentiel.
Mauricio Rodas du mouvement SUMA (centre). Rodas est un avocat et politologue qui a été analyste à la CEPAL au Chili.
Nelson Zevala du Partido Roldosista Ecuatoriano (PRE) (droite religieuse). Zevala est pasteur évangélique.
Alberto Acosta de la Unidad Plurinacional de las Izquierdas, une coalition de partis politiques (MPD et Pachakutik) et de mouvements sociaux socialistes en opposition au régime Correa (gauche écosocialiste). Acosta est économiste. Il a été ministre des Mines en 2007 et président de l’Assemblée constituante en 2008. Il a rompu avec Correa en 2009.
Norman Wray du groupe Ruptura 25 qui a agi à l’intérieur d’Alianza Pais jusqu’en 2012 et s’en est distancé depuis (gauche écologique). Il est avocat et politologue.

Les sondages récents annoncent que les chances de Correa de l’emporter dès le premier tour sont grandes, puisqu’il recueillerait entre 40 et 55% des voix et cela en dépit de l’apathie d’une partie de la population (20% d’indécis). Le reste du vote demeure fragmenté : Lasso recueillerait entre 14 et 18% des voix, Gutierrez entre 10 et 13%, Acosta entre 8 et 11% et les quatre autres entre 1 et 4%. Trois facteurs aident Correa à avoir le vent en poupe : 1) le grand nombre des candidats d’opposition, ce qui diminue les chances de celui qui arrivera deuxième de se tenir à moins de 10% du premier ; 2) la stratégie de communication d’Alianza Pais qui met astucieusement de l’avant les réalisations du gouvernement et des divers ministères au cours des six dernières années ; 3) le fait que, de toute manière, le taux de soutien de la population à Correa s’est toujours maintenu autour de 60% depuis 6 ans, ce qui suggère qu’il détient un bon appui et un solide ancrage dans la population.

Il reste à savoir quels seront les résultats des élections législatives. Est-ce que la victoire probable d’Alianza pais dans la présidentielle ira de pair avec l’obtention d’une majorité à l’Assemblée nationale ? Est-ce que, comme l’annoncent avec inquiétude certains analystes, il se pourrait que les forces politiques de l’opposition se retrouvent émiettées, voire démantelées, dans les institutions législatives et les partis politiques ?

Les critiques contre le gouvernement Correa

Avant de présenter un bilan de l’action gouvernementale d’Alianza Pais et du président Correa, il m’apparaît utile de rappeler certaines critiques dont il est l’objet, notamment en provenance de la gauche.

Le développement des ressources naturelles en Équateur, sans surprise, depuis 2009 surtout, s’est retrouvé au cœur de plusieurs polarisations et conflits entre le gouvernement de Correa, d’un côté, et certains mouvements sociaux et politiques, de l’autre, notamment les mouvement indigène, paysan et écologique. Ces polarisations ont donné lieu, de la part des acteurs de la société civile et des mouvements sociaux, à des résistances, marches et autres formes de protestation. Parmi les critiques adressées au gouvernement de Correa, il y a les suivantes :

1) Le gouvernement de Correa a trahi son programme et la Constitution de 2008, en étant néo-extractiviste et en ne respectant pas les droits de la nature et de la Madre Tierra.

2) Le gouvernement a renoncé à son objectif d’aménager une nouvelle matrice productive qui ferait appel à une diversification de l’économie et cesserait de miser principalement sur l’exploitation et l’exportation pour le marché capitaliste mondial des ressources traditionnelles.

3) Le gouvernement a renoncé à instaurer la révolution citoyenne dont il parle tant en misant uniquement sur la démocratie représentative et non pas sur la démocratie participative et, par surcroît, en misant sur l’exécutif (la présidence) plutôt que sur le législatif (l’Assemblée nationale).

4) Le président Correa, avec son tempérament abrasif et son style provocateur, a instauré, à la manière d’un nouveau caudillo, un régime autoritaire, personnaliste et disciplinaire qui court-circuite les possibilités de délibération démocratique et empêche les débats.

Le bilan du gouvernement Correa

Alianza Pais et le gouvernement de Correa se réclament du « socialisme du 21e siècle », étiquette inventée par Hugo Chavez en 2005. À nos yeux, ce projet politique mis de l’avant par le gouvernement, tout comme par la Constitution de 2008, ne relève pas du socialisme de type marxiste, mais davantage d’une social-démocratie novatrice à certains égards et peu novatrice à d’autres égards. Schématiquement, évoquons quelques politiques prises par ce gouvernement.

1. Les politiques officielles du gouvernement, ancrées dans la Constitution de 2008, sont axées sur l’objectif du Buen Vivir qui promeut l’accès de tous et toutes à un mieux-être économique et social et reconnaît les droits de la nature et de la Terre Mère (Pachamama) qui ont des implications pour la gestion publique de l’eau et de la terre de même que pour la poursuite de la souveraineté alimentaire. Le Buen Vivir met aussi la barre haute sur le plan de la transition écologique de l’économie en appelant au « non-extractivisme », une expression qui est très employée dans les débats politiques actuels en Équateur et qui évoque le risque de sortir du sol les ressources énergétiques et minérales qui s’y trouvent sans se soucier de la qualité de vie des communautés environnantes et des générations futures. C’est dans ce contexte que le projet de Yasuni-ITT occupe une grande place symbolique. Ce projet consiste, pour le gouvernement, de renoncer, en retour d’une compensation internationale des pays du Nord, à l’exploitation du pétrole dans cette région amazonienne pour prévenir des risques sociaux et environnementaux élevés.

2. Le gouvernement a réaffirmé le rôle planificateur et coordonnateur de l’État national et plurinational qui avait été affaibli et délégitimé par 25 ans de politiques néolibérales. Cela a permis une consolidation du rôle du secteur public dans la santé, l’éducation, les services sociaux, le développement industriel. Dans ce contexte, l’État a amélioré aussi sa capacité de prélever méthodiquement des impôts.

3. La valorisation de l’interventionnisme de l’État se conjugue, du moins sur le plan du discours, avec la poursuite de la « révolution citoyenne », un antidote contre la centralisation et à la bureaucratisation. La participation individuelle et collective des citoyens annonce une forte exigence de décentralisation et de déconcentration, puisque les citoyens et leurs organisations sont conviés à codécider avec les représentants de l’État, l’élaboration et l’application des politiques publiques. En pratique, le gouvernement demeure critiqué pour sa tendance au technocratisme et à l’autoritarisme.

4. La politique économique du gouvernement se veut non pas anti-capitaliste (ce qui impliquerait une éradication du secteur privé et la nationalisation des entreprises stratégiques), mais le remplacement d’un modèle néolibéral d’économie de marché par un autre modèle qui favorise la régulation de l’État en fonction de l’intérêt général et l’instauration d’une économie davantage plurielle et solidaire dans laquelle le secteur public est renforcé, le secteur de l’économie sociale est reconnu et élargi, tandis que le secteur privé se trouve invité à occuper des espaces plus modestes et à ne pas imposer ses principes marchands à l’ensemble de l’économie et de la société. Dans ce cadre, la promotion de l’économie sociale et solidaire a marqué des gains importants dans la Constitution de 2008 (article 283) et avec l’adoption d’une Loi sur l’économie populaire et solidaire en 2011.

5. Dans le domaine de l’exploitation des ressources naturelles, le gouvernement, non sans froisser ses prétentions écologiques, exporte présentement 500 000 barils de pétrole brut par jour, ce qui finance 35% du budget de l’État, grâce à une amélioration substantielle de la politique des redevances. Dans le secteur minier, le gouvernement, tout en prétendant resserrer la régulation sociale et environnementale, négocie présentement des arrangements avec des transnationales et capitaux étrangers (surtout chinois et canadiens) intéressés à s’impliquer dans l’exploitation et l’exportation du cuivre, de l’or et de l’argent.

6. Avec l’argent des redevances pétrolières prélevées par l’État, le gouvernement a soutenu des travaux d’infrastructure pour améliorer le réseau routier et les transports publics, éliminer les pannes récurrentes d’électricité subies jusqu’en 2009, faciliter l’accès à des services de santé et d’éducation gratuits, et instaurer des politiques sociales qui améliorent le pouvoir d’achat et la qualité de vie des couches populaires. Par exemple, en s’inspirant du Brésil de Lula, il s’est empressé d’améliorer le Bono de Desarrollo en l’étendant à 3 millions de personnes vulnérables et en le haussant de 15$ à 35$. Certes, ce bon de développement comporte des relents d’assistancialisme, mais il conserve néanmoins une portée structurante, puisque les familles admissibles sont incitées en le recevant de se connecter avec les services de santé et d’éducation. Le bon vient d’être haussé à 50$ depuis décembre 2012, en contexte électoral. Un bon analogue a été créé pour soutenir l’accès au logement social. En fin de compte, ces initiatives et d’autres ont amené une réduction de la pauvreté. En août 2012, selon des sources gouvernementales, en 5 ans de 2007 à 2012, la pauvreté a été réduite de 36,7% à 23,5%, tandis que la pauvreté extrême a baissé de 16,5% à 9,4%. Évidemment, cela ne veut pas automatiquement dire qu’il y a eu réduction des inégalités.

7. La politique étrangère du gouvernement de Correa s’est avérée déroutante en direction de certains pays du Moyen-Orient (Libye, Syrie, Iran), plutôt étonnante en direction de la Chine, et plus cohérente en direction de l’Amérique du Nord et de l’Europe. Elle apparaît originale et inspirante dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes (ALC). En effet, en concertation avec celle d’autres gouvernements progressistes, la politique continentale de l’Équateur a favorisé une démarche d’autonomisation de l’Organisation des États américains (OÉA) versus les États-Unis et le Canada, en même temps que le renforcement de la solidarité entre pays de l’ALC. L’Équateur a soutenu l’émergence et la consolidation de l’ALBA, de l’UNASUR et du CELAC. Ces institutions régionales ont été utilisées par l’Équateur pour adopter des stratégies communes avec ses voisins du Sud sur les plans économique et politique, ainsi que sur le plan de la solidarité Sud-Sud, comme on l’a vu au lendemain du tremblement de terre d’Haïti de janvier 2010. L’Équateur a aussi joué un rôle important pour soutenir le gouvernement colombien de Juan Manuel Santos dans ses efforts pour mettre le cap sur la démocratie et la paix ; pour briser l’isolement de Cuba dans l’hémisphère ; pour délégitimer les coups d’État réalisés au Honduras en 2009 et au Paraguay en 2012 avec le soutien des États-Unis.

Conclusion : l’enjeu de la délibération démocratique

Que dire des critiques d’une partie de la gauche concernant Correa et son gouvernement, sans perdre de vue les éléments de bilan que je viens de rapporter? Je réponds qu’elles sont sans doute fondées, du moins en partie. Présentement, il semble y avoir un problème sérieux sur le plan de la délibération démocratique en Équateur, comme dans d’autres sociétés du Sud et du Nord, d’ailleurs. Mais, comme c’est souvent le cas, les responsabilités sont sans doute partagées entre un gouvernement qui n’écoute pas assez et une société civile et des mouvements sociopolitiques qui ont l’habitude de se manifester plus spontanément dans la dénonciation que dans la proposition. La restauration d’un vrai dialogue démocratique exigerait des ajustements significatifs tant du côté gouvernemental et de celui de l’opposition sociale et politique, comme l’a fait ressortir Marta Harnecker dans un livre récent consacré à la polarisation entre le mouvement indigène et le gouvernement de Correa. Dans le dossier des ressources naturelles, un virage écologique de la politique économique est impératif, mais ce virage ne pourra pas être effectué à 180 degrés, du jour au lendemain, comme le voudrait la gauche de la gauche. Une politique de transition serait de mise. Dans l’intervalle, certains débats doivent être repris et certains compromis doivent être élaborés. C’est ce que j’appelle le défi de la co-construction des politiques alternatives en Équateur et chez nous.

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